LE PATRIOTISME ECONOMIQUE, ETAPE RECENTE D'EDIFICATION D'UNE CLASSE ENTREPREUNEURIALE AU SENEGAL.

THEME DU SAMEDI DE L’ECONOMIE DU 6 SEPTEMBRE 2014: « LE PATRIOTISME ECONOMIQUE »

L’expression «Patriotisme économique »  est récemment apparue dans les revendications économiques et politiques  dans notre pays, notamment  vers la fin de la première décennie des années 2000.  Elle a été surtout consacrée  comme une  exigence nationale dans les «  Conclusions des Assises Nationales » de 2008.

  1. Comment en est on arrivé là ?

Historiquement, une « classe d’entrepreneurs » ne « s’édifie » pas, mais « apparaît » naturellement  dans un processus  d’accumulation de capital, par un groupe distinct d’individus, dans la production  et le commerce des biens et services.

Mais au Sénégal, sa situation de colonie, et notamment de celle de la France, a modifié ce processus historique d’accumulation de capital,  durant  sa «  mise en valeur coloniale ».

En effet, la « mise en valeur coloniale » du Sénégal a commencé, au plan économique, d’abord par le commerce de la  « gomme arabique », puis la production et le commerce  de  l’arachide,  avec l’installation de grandes Maisons de commerce Bordelaises  et Marseillaises.

C’est ainsi qu’apparurent  Maurel et Prom, Devès et Chaumet, SCOA, Peyrissac, NOSOCO, Buhan et Teissère,  qui monopolisaient l’import- export, et le commerce intérieur, et profitaient  du «  Code de l’Indigénat » qui instituait  les « réquisitions » de la main d’œuvre, les « corvées », et les « travaux forcés », pour faire prospérer leur business.

Plus tard, le secteur industriel, notamment dans la transformation de l’arachide en huile brute, avec Lessieur et  Pétersen,  et  le secteur bancaire,  élargissaient les sphères d’accumulation de capital par les colons Français, et leurs auxiliaires Libano-Syriens.

Ainsi naquit, au Sénégal,  une « classe d’entrepreneurs étrangers » qui contrôlaient les principaux secteurs de l’Economie coloniale, ayant enfanté  une classe « d’auxiliaires  autochtones »  dans l’administration, et une classe  de « travailleurs taillables et corvéables » dans les travaux publics, et  dans les  entreprises privées coloniales.

Et ce n’est qu’au prix d’une âpre lutte contre cet esclavagisme des temps coloniaux,  par les travailleurs en Afrique  l’Ouest,  avec, notamment,  les puissantes grèves des Cheminots de la ligne des Chemins de fer Dakar- Niger,  qu’à la Conférence de Brazzaville (Capitale de la République du Congo actuelle) tenue  du  31 janvier au 8 Février  1944, par De Gaule, en l’absence des élus africains, qu’une recommandation fut adoptée portant sur la « suppression du Code de  l’indigénat »,  « une réglementation des Syndicats professionnels », et   « l’établissement de la Liberté de travail ».

Mais surtout en Septembre 1946,  avec la Loi Houphouët boigny, que «  l’indigénat » et les « travaux forcés » furent supprimés, marquant une avancée certaine dans la naissance d’une  « classe ouvrière », dont l’émancipation  posait  l’agenda de l’indépendance nationale dans les colonies françaises.

Et c’est en 1952, que cette «  classe ouvrière »,  après des grèves mémorables, décrochait  un «  Code du Travail d’Outre- mer » qui reconnaissait le «  droit aux Congés payés »,  « aux allocations familiales »  et  la «la durée du travail  de 40 heures/ semaine».

Ainsi, le développement du capitalisme sous la colonisation au Sénégal,  a enfanté une « classe ouvrière  autochtone»   sans une « classe d’entrepreneurs autochtones ».

D’où,  toute la place que le mouvement  syndical a occupée  dans les luttes des années 50 pour l’indépendance des colonies, en alliance avec les couches moyennes intellectuelles, mais en l’absence d’une « classe d’entrepreneurs autochtones ».

Cependant, c’est dans  la foulée des luttes pour l’Indépendance nationale,  que naquirent, dans la deuxième moitié des années 50, un « embryon de classe d’entrepreneurs autochtones », qui mit sur pied les deux premières  organisations  dans le Commerce, dénommées « l’Union Nationale Indépendante des Groupements Economiques du Sénégal » (UNIGES), et « la Confédération des Fédérations de Groupements Economiques du Sénégal » (COFEGES),  qui ne s’étaient pas accordés sur l’attitude à prendre face à la main mise Française sur les secteurs clef de l’Economie, et sur le rôle de l’Etat dans l’acquisition de la souveraineté économique.

Le Patronat Français,   dont  la place dans notre Economie était l’enjeu des revendications de cet « embryon de classe d’entrepreneurs autochtones », était organisé,  dans le secteur industriel au sein de  « l’Union des Syndicats de l’Industrie » (UNISYNDI », et dans le secteur commercial, au sein du « Syndicat des Importateurs et Exportateurs »  (SYMPEX),  et contrôlait la place  stratégique dans notre Economie  qu’est  la Chambre de Commerce et d’Industrie de Dakar.

C’est donc, avec la complicité de l’Etat,  et de ses  propres « auxiliaires  autochtones» au sein  de cette « classe d’entrepreneurs autochtones »  dans le commerce et le transport, que le Patronat Français a travaillé à cette  division. 

Ce n’est que  dans la première moitié des années 60,  que ces divergences ont été surmontées dans la foulée de la recomposition politique des forces au pouvoir, qui a vu une partie importante  de l’opposition qui luttait, depuis 1958,  pour  l’indépendance nationale, s’intégrer  dans le Parti au pouvoir qui s’était fait remarqué  par sa forte   opposition à cette Indépendance nationale.

C’est ainsi que naquit  le « Groupement Economique du Sénégal » (GES) pour revendiquer «  l’insertion » des « entrepreneurs autochtones » dans  l’Economie nationale, dominée, dans ses secteurs essentiels, par le capital Français, et ses auxiliaires Libano-syriens.

Cependant, avec les Indépendances des années 60,  l’option de «  coopérative »,  comme mode d’organisation  du monde rural,  excluait du commerce  des arachides  et dans la vente au détail  des biens et services industriels,  les intermédiaire autochtones et  libano syriens, des Maisons de Commerce Françaises,  et donc leur fermait  toute perspective d’accumulation du capital dans le secteur rural et dans le secteur commercial.

C’est à cet effet, que l’Etat avait créé les premières entreprises parapubliques dans le secteur marchand que furent «  l’Office pour la Commercialisation des arachides » (OCA) qui avait en même temps le monopôle de l’importation du riz, des « Centres Régionaux d’Approvisionnement pour le Développement » (CRAD) qui avaient le monopôle de la distribution des intrants agricoles aux coopératives, et la « Société Nationale de Distribution au Sénégal » ( SONADIS) qui s’occupait de la vente en gros aux commerçants agréés,  et au détail  aux populations, des produits alimentaires et industriels de large consommation, qu’elle obtenait auprès de l’OCA, et des Industriels de la place.  

C’est ainsi, que plus tard, l’OCA et les CRAD ont été fusionnés pour donner naissance à « l’Office National de Commercialisation et d’Approvisionnement pour le Développement » (ONCAD).

Le capital colonial  continuait, aussi,  à  exclure les intermédiaires autochtones  dans les  autres secteurs clef de l’Economie,  que sont l’import-export, l’industrie,  et le commerce de gros occupé par les libano-syriens,  qui étaient en même temps,  présents dans le commerce de détail.

C’est de cette manière  que les Libano syriens sont devenus de puissants entrepreneurs à leurs dépends.

Ainsi, l’Etat, auquel les sénégalais autochtones  pouvaient accéder par l’Ecole  et le suffrage du peuple, et les entreprises para publiques, étaient devenues l’unique secteur où ils pouvaient accumuler des richesses  à travers des salaires et des avantages, à partir des recettes fiscales, et la gestion de ce secteur.

  1. Le développement  d’une classe d’entrepreneurs autochtones organisés.

La « Banque Nationale du Développement du Sénégal »(BNDS) fut largement utilisée, par le biais d’un compte spécial, dénommé « Compte K », pour capter  politiquement cette classe  naissante d’entrepreneurs autochtones, dont les revendications, à partir de la deuxième moitié des années 70,  étaient publiquement portées par un nouveau Parti politique d’opposition légale, le  « Parti Démocratique Sénégalais » (PDS).

Ainsi naquit un véritable « embryon de la bourgeoise nationale » dans les affaires, étroitement liée à la  Bureaucratie qui gérait l’Etat,  dont le rôle essentiel consistait à protéger les intérêts des entreprises françaises installées chez nous, et les intérêts géo stratégiques de l’Etat Français dans la sous région.

La classe ouvrière perdit ainsi,  peu à peu, dans les années 70 et début 80, ses alliés des couches moyennes qui contrôlaient l’Etat,  au profit  de la « classe naissante d’entrepreneurs autochtones », tandis que ses soutiens de Gauche sont bannis et persécutés, et le mouvement syndical divisé et embrigadé  par les tenants du pouvoir.

C’est dans ce contexte  que, dans les années 70,  l’Etat avait créé « l’Union Sénégalaise de Banque » (USB), dans laquelle il détenait la majorité du capital, et  la « Société Nationale de  Garantie  du Crédit Automobile » (SONAGA), qui  contribuaient aussi  au financement public  de  « l’insertion des entrepreneurs  autochtones »  dans la petite et moyenne entreprise commerciale et dans le transport, alors que  la SOFESEDIT et la SONEPI,  en faisaient de même,  dans le secteur industriel,  appuyé par l’aménagement d’un espace dédié à cet effet, dénommé « Société du Domaine  Industriel de Dakar » (SODIDA), et des « Domaines artisanaux » dans certaines capitales régionales.

Cette politique  « d’insertion  d’entrepreneurs autochtones » dans le tissu économique,  était  présentée  comme une première réponse aux revendications du GES, pour accéder  au secteur clef de l’économie, dans un contexte, où le développement  du « Nationalisme économique africain »,  sous la poussée de  « couches moyennes de Gauche »  qui exigeaient «l’ Indépendance économique » par la  «Nationalisation »  des entreprises étrangères, avait amené l’Etat à prendre le contrôle de l’Energie, de l’Eau, et  à créer de Grandes Entreprises publiques dans le secteur marchand, sous prétexte de  « l’immaturité »  de la classe des entrepreneurs autochtones.

C’est  ainsi que le développement du secteur parapublic,  dans le secteur marchand, était, d’une part,  présenté   au GES, comme une « phase transitoire nécessaire » en attendant  que les entrepreneurs autochtones acquièrent de l’expérience dans la gestion des affaires,  et d’autre part, à la Gauche, comme une première étape dans l’acquisition de la « souveraineté économique », qui était exhibée comme une marque de fabrique du « Socialisme africain »,  présenté comme une alternative au  Marxisme Léninisme en Afrique.

Mais en fait, le développement du secteur parapublic   se faisait  aussi  à partir des finances publiques,  avec l’appui de la coopération internationale, notamment de la France, mais ne mettait pas en cause  la main mise des entreprises Françaises  sur les secteurs  clefs de l’Economie nationale, tout en permettant à la « Bourgeoisie bureaucratique »  d’élargir sa sphère d’accumulation de richesse et de capital,  dans l’exercice de ses  fonctions  dans l’appareil d’Etat et dans ces entreprises.

La « Bourgeoisie bureaucratique » se développait ainsi au détriment de la « classe des entrepreneurs autochtones »,  et cela avait jeté, peu à peu,  les bases d’un début d’antagonisme entre ces deux classes sociales, autour de  l’accès aux ressources publiques qui conditionnait  leur développement.

Mais, cette politique de transformation de la « Bureaucratie d’Etat »,  en « Bourgeoisie Bureaucratique » par cette  « patrimonialisation de l’Etat »  qui  était érigée en mode de gestion des finances publiques,  s’était développée  à tel point, que le Président Abdou Diouf dut renoncer à lutter contre les prévaricateurs des deniers publics, dès les premières heures de son magistère, malgré « la Loi  de Répression de l’Enrichissement Illicite » qu’il fit voter à cet effet.  

Cette politique « d’insertion d’une  Bourgeoisie  autochtone » dans les affaires, sur ces mêmes finances publiques,  et la « patrimonialisation de l’Etat », avaient fortement creusé le  déficit  budgétaire,  pour  occasionner  un « surendettement de l’Etat », dans un contexte de pertes énormes de recettes d’exportation, suite à l’effondrement des cours de nos principaux produits d’exportation, que furent l’arachide et les phosphates,  pertes accentuées aussi  par  la  baisse de la production des arachides, fortement aggravée par  l’avènement de  séries  de grandes sécheresses durant la période.

Cela  a entraîné une grave crise des finances publiques,  dés la fin des années 70 et début 80, qui projetait notre pays dans les fourches caudines du FMI et de la Banque mondiale, à travers leurs politiques « d’Ajustement structurel ».

Ce sont ces politiques  « d’Ajustement »,  qui ont conduit à  la suppression de l’ONCAD et de la SONADIS,  à la liquidation de la BNDS et  de la SOFESEDIT,  à la privatisation de l’USB,  et la dissolution de la SONEPI,  qui ont mis fin à la politique « d’insertion » des entrepreneurs autochtones dans le tissu économique, avec  l’avènement d’une  « Nouvelle Politique Agricole » (PA), d’une Nouvelle Politique Industrielle » (NPI),  la « privatisation des entreprises publiques du secteur marchand »,  « la fin des subventions publiques et du crédit sur ressources publiques », et la  politique de « libéralisation du commerce intérieur » pour mettre fin aux « situations de rente » et de «  monopole » dont jouissaient les principales entreprises Françaises  dans l’Economie nationale.

  1. Conséquences des Politiques d’Ajustement sur le développement d’une « classe d’entrepreneurs autochtones »

Ces « politiques d’Ajustement », comme moyen  de financement du remboursement de la dette publique, mettaient ainsi en cause  la rémunération des travailleurs du secteur public, aggravaient le chômage par les fermetures d’entreprises publiques et les licenciements dans les entreprises privées, et s’attaquaient aux « conquêtes  du monde du travail » dans le secteur privé, pour rendre le marché du travail  plus flexible, et bloquaient, par la « suppression du Programme Agricole » (PA), le début de modernisation des exploitations agricoles familiales qui était entamée dès le début des années 60, à travers la « coopérative agricole ».

 Donc, ces politiques d’Ajustement  exacerbaient  les contradictions nées depuis  l’avènement des Indépendances,  entre l’Etat de la « Bourgeoisie Bureaucratique » et la classe ouvrière ,  mais aussi, en supprimant  le financement  public  qui était à la base de l’alliance que cette «  Bourgeoisie » avait forgée avec la « classe des entrepreneurs autochtones »,  mettaient celle- ci,  en contradiction avec l’Etat.

 Ces politiques, à travers la suppression et la privatisation d’entreprises du secteur para public, restreignaient aussi les bases d’accumulation et d’enrichissement de la « Bourgeoisie bureaucratique », jetant ainsi  les couches moyennes intellectuelles dans une lutte à mort pour le contrôle de l’Etat.

Cependant, ces politiques d’Ajustement  ne permettaient pas une rupture  des rapports entre la   « Bourgeoisie Bureaucratique » et les Entrepreneurs Français au Sénégal,  du fait  que la France participe au contrôle  de ces Institutions de Bretton Woods,  et du fait,  de la fonction politique de notre Etat,  fondée sur la défense des intérêts  des entreprises Françaises dans  notre  pays, et de ceux de l’Etat Français,  dans la sous région.

C’est dans ce contexte, qu’à côté du GES,  naquirent de nouvelles organisations patronales pour la défense des intérêts de l’entreprise autochtone. 

C’est ainsi que « l’Union Nationale des Commerçants  et des Industriels du Sénégal » UNACOIS naquit, au début des années 90,  dans la lutte contre  les situations de rente et de monopôle dans le commerce intérieur, et pour la libéralisation de l’accès  au commerce de gros et à l’import –export, que le FMI et la Banque mondiale n’arrivaient pas à imposer à l’Etat du Sénégal pour les raisons citées plus haut.

De même, dans le secteur industriel et des services,  naquit  la « Confédération Nationale des Employeurs  du Sénégal » (CNES), qui regroupait d’abord,  les entrepreneurs autochtones et étrangers, notamment Français, dans une même organisation patronale, avant que l’irréductibilité de leurs intérêts respectifs,  les conduisit à la séparation en deux organisations distinctes,  la CNES et le « Conseil National du Patronat » (CNP), qui regroupait l’essentiel  des entrepreneurs Français et étrangers, à côté d’une partie des entrepreneurs autochtones.

C’est ainsi que,  le GES, l’UNACOIS, et la CNES, regroupaient l’essentiel des entrepreneurs autochtones dans les petites et moyennes entreprises dans le commerce et l’industrie, tandis que les grandes et moyennes entreprises  étrangères et autochtones étaient regroupées dans le CNP.

Ainsi, par rapport  à la main mise étrangère sur les secteurs clef de notre Economie,  deux camps  se distinguaient  au sein des entrepreneurs autochtones,  à savoir : ceux  qui la combattaient, dont l’UNACOIS était le porte drapeau, et ceux qui coopéraient avec les entrepreneurs étrangers, dont les principaux furent organisés au sein  du CNP.

Si le premier camp voyait dans les Institutions de Bretton Woods,  des alliés stratégiques dans leur politique de libéralisation de l’Economie,  du marché du travail, et de privatisation des Entreprises publiques et de la terre, au risque de s’aliéner  la classe ouvrière,  et le monde rural, le second camp se sentait visé  par celles-ci,  et exerçait   des pressions sur l’Etat  pour défendre ses intérêts.

De même, se sentaient aussi visées par les politiques d’Ajustement structurel,  les organisations syndicales et les organisations les plus représentatives du monde rural regroupées dans «  le Conseil National de Concertation des Ruraux » (CNCR),  et, pour cela,  elles exerçaient aussi des pressions sur l’Etat,  pour défendre leurs intérêts  spécifiques.

Ces contradictions,  occasionnées par les Politiques d’Ajustement structurel,  ont finalement eu raison de 40 ans de règne du Parti Socialiste au Sénégal en 2000, en portant à la tête de l’Etat, le Secrétaire Général du PDS, dans  le cadre d’une alliance avec la Gauche.

Mais, les entrepreneurs autochtones des deux camps ne se reconnaissaient pas dans  le PDS, et s’en méfiaient même,  pour avoir été les victimes expiatoires des manifestations publiques violentes qu’il organisait pour la conquête du pouvoir.

Sans aucune base sociale de classe,  ni chez les entrepreneurs autochtones, ni chez la classe ouvrière, ni dans le monde rural,  le PDS, au pouvoir, s’évertua à créer sa propre base de classe sociale,  au détriment de celles qui se sont forgées durant les 40 ans de règne du Parti Socialiste, tout en mettant en œuvre, de façon plus déterminée, les politiques de privatisation des entreprises publiques, et de libéralisation de la commercialisation des arachides, telles qu’ édictées par les politiques d’Ajustement structurel.

Mais, ce nouveau pouvoir arrivait dans un contexte, où la gestion des finances publiques étaient étroitement surveillée par les Institutions de Bretton Woods pour sécuriser les capacités de nos Etats à rembourser leurs dettes extérieures ;  ce qui   limitait  les opportunités de leur  détournement  dans l’exercice du pouvoir d’Etat, qui était la source principale d’enrichissement  de la «  Bourgeoisie Bureaucratique ».

Le Président Wade  entreprit  alors la création de sa «  nouvelle classe sociale d’entrepreneurs autochtones »  par le biais des « marchés publics »   et la « spéculation foncière et immobilière », tout en renforçant, par la privatisation de ce qui restait encore d’entreprises publiques dans le « secteur marchand » ( SONACOS, et SODEFITEX, ICS),  la main mise étrangère sur les secteurs clef de notre Economie,  par les entrepreneurs Français et autres étrangers,  accentuée  par leur accès privilégié aux grands marchés publics,  par le biais de la promotion d’une nouvelle politique vis-à-vis des investisseurs étrangers, dénommée :  le « Partenariat Public/ Privé ».

Cette nouvelle politique, préconisée par les Institutions de Bretton Woods,  marginalisait  les entrepreneurs autochtones non liés au capital étranger, et renforçait  la présence du capital étranger.

C’est dans ce contexte, que les « Assises nationales » furent organisées en 2008, et regroupaient à côté des organisations syndicales et du monde rural (CNCR),  des organisations patronales autochtones (l’UNACOIS et la CNES), des organisations de la société civile,  et des Partis politique de Gauche et des Socialistes.

C’est à l’occasion  de ces « Assises nationales »,  que les aspirations de la bourgeoisie autochtone furent formulées en termes  de «Patriotisme économique »,  pour lui donner toute  sa  place dans l’Economie nationale.

Il ne s’agissait plus  « d’insérer » les entrepreneurs autochtones, ou d’en  « créer artificiellement »,  mais il s’agit désormais, de faire en sorte,  qu’ils parviennent à contrôler,  en coopération avec l’Etat, l’essentiel des secteurs clefs de notre Economie, comme la forme concrète de la matérialisation de la volonté du peuple,  de recouvrir sa « souveraineté économique », pour parachever l’Indépendance nationale du pays.

 Ainsi, avec les « Assises nationales », le « Partenariat Public/ Privé » devient d’abord  «  national »,  avant de s’ouvrir aux étrangers,  pour coopérer  dans les politiques de Développement Economique et Social, définies par un Etat souverain,  et non plus,  pour s’ériger en « maître » de notre Economie.

  1. Le développement du «  Patriotisme économique ».

Depuis les « Assises nationales »  le «  Patriotisme économique » est devenu  une exigence nationale, qui a fini par trouver, vers la fin des années 2000, un  écho favorable  chez les entrepreneurs autochtones au sein du CNP, dont le Président,   Baidy Agne,  s’interrogeait  publiquement,  face à un  Premier Ministre de Wade, venu présider, le 1er Décembre 2010,  l’ouverture des « Assises de l’Entreprise » à Dakar,  dans son discours introductif intitulé   « Déclaration sur l’environnement et la compétitivité des entreprises » ,  en ces termes  :  

«  Alors comment comprendre qu’en 2010,  nous puissions encore parler de notre souveraineté économique dans les secteurs stratégiques et porteurs de croissance ?»  Et d’asséner royalement : «  Comment peut on vouloir l’Indépendance politique et ne pas rechercher la souveraineté économique ? ».

C’est  donc, autour des « Conclusions de ces Assises nationales »,   que les forces vives de notre Nation se sont mobilisées pour faire partir le régime libéral du PDS, et effectuer une nouvelle Alternance  politique, dans le cadre d’une coalition,  où l’équilibre des rapports de force en son sein,  augurait d’une nouvelle ère de « gestion concertée », pour mettre  en œuvre ses grandes «  Conclusions », dont le «  Patriotisme économique ».

C’est ainsi qu’avec la constitution du premier gouvernement de cette seconde Alternance,  le « Discours de Politique Générale »  du nouveau Premier Ministre devant l’Assemblée nationale, la lutte déclarée  contre  l’enrichissement illicite,  et contre les situations de rente  dans le commerce intérieur,  tout en préservant les emplois acquis,  notamment  pour le sucre,  la farine  et la tomate industrielle,  par le biais de l’homologation des prix,  à la place de la liberté des prix,  confortaient  l’opinion, de l’effectivité de cette «  nouvelle ère de gestion concertée »  pour réaliser les ruptures attendues par le peuple.

Mais bientôt, la manière dont la « Banque Nationale de Développement Economique »  a été créée, avec une participation minoritaire de l’Etat (25%) selon les exigences du FMI, et la création du « Fonds National de Garantie des Investissements Prioritaires » (FONGIP),  reproduisaient les mêmes instruments « d’insertion  des  entrepreneurs autochtones, qui ont déjà montré leurs limites économiques et sociales  durant les 40 ans du règne des Socialistes.

Même la création  du « Fonds National Souverain d’Investissement du Sénégal » (FONSIS),  dont le financement devrait reposer sur l’hypothèque d’une partie de notre patrimoine, notamment foncier et immobilier, constitue une véritable menace sur ce patrimoine soumis aux aléas du marché financier international,  sans que son rôle dans la promotion des entrepreneurs autochtones ne soit garanti  nulle part.

En outre, la promulgation de la  Loi n°2011-07 du 30 mars 2011 portant « régime de la Propriété foncière »  qui contourne tous les obstacles à l’accaparement des terres agricoles contenus dans la Loi sur le Domaine National, par sa  publication dans le JO n°6607 du 13 août 2012,  a fini   par faire douter  de la volonté du nouveau Chef de l’Etat,  à s’engager dans la voie de la libération économique du pays.

Ce doute fut renforcé par l’adoption d’un  « Programme du Sénégal  Emergent (PSE) qui, par son mode de financement, et ses engagements sur la  flexibilisation du Travail,  et  sur  le foncier,  au profit  des investisseurs privés étrangers, ont été perçus comme des signaux forts d’une volonté politique de renforcement de  la main mise étrangère sur notre  Economie.

Et par-dessus tout cela, il s’est développé une politique active de marginalisation des entreprises autochtones  dans les grands marchés publics, notamment dans les BTP,  et même de leur exclusion de certains secteurs où elles avaient déjà pignon sur roue (Affaire Ecotrans, et Affaire Effiage/Total/SONATEL).

Mais, c’est surtout, la décision du Chef de l’Etat, de parapher les « Accords de Partenariat Economique » (APE),  contre l’avis écrit  de « la Direction des Etudes et de la Planification Economique » (DPEE) de son propre Ministère de l’Economie et des Finances, qui a fini de convaincre de  la nature de ce nouveau tournant de la politique économique de cette seconde Alternance.

Cette décision qu’il est parvenue à faire partager à ces paires de la CEDEAO, va coûter 11 milliards d’Euros de pertes de recettes fiscales aux « Pays les Moins Avancés » (PMA) de notre sous région, dont le nôtre,  pour une contrepartie en aide publique au développement de 6,5 milliards d’Euros, qui étaient pourtant acquis et programmés par l’Union Européenne, bien avant les négociations sur les APE.

Ce tournant ne laissait  plus aucune place, même chez les  plus optimistes, pour nier  sa nature anti patriotique, et anti sociale, dans un pays où, selon le sondage de «  Performance Group » SAARA 2013-2014 portant   « Baromètre des rémunérations » des entreprises du secteur moderne au Sénégal,  64% des entreprises sont des filiales étrangères, et 36% sont  des entreprises sénégalaises.

 C’est ainsi,  que le PSE condense,  à lui tout  seul,  les contradictions entre :

  •  l’Etat  et la classe ouvrière,  sur le marché du travail, pour le  profit  des grandes entreprises étrangères qui concentrent l’essentiel des effectifs de la classe ouvrière (58% des effectifs  dans 10% des entreprises);
  • l’Etat et le monde rural sur le foncier,  au profit de l’agrobusiness ;  
  •  l’Etat  et  les entrepreneurs autochtones,  qui  se sentent  marginaliser  et confiner  dans les bas fonds de notre Economie.
  • L’Etat et les travailleurs de la Fonction publique,  dans ses engagements d’économiser 300 milliards dans ses dépenses de fonctionnement et d’investissement,  pour contribuer au  financement  des projets du PSE.

Ces contradictions sont renforcées par  les APE  qui  sonnent le glas pour toute entreprise au Sénégal, qui n’est pas une filiale ou une succursale des entreprises Françaises et Européennes.  

C’est donc,  le sort de ces 36% des entreprises sénégalaises  et de leurs travailleurs, qui sera scellé avec les APE.

  1. Conclusion.

Les Politiques d’Ajustement structurel  et  les « Assises nationales »,  ont été des moments historiques décisifs,  dans le développement  d’une «  classe d’entrepreneurs autochtones »  dans les secteurs de production des biens et services dans notre pays.

En effet, alors que les Politiques « d’Ajustement » avaient polarisé  les entrepreneurs autochtones  dans  différentes organisations  patronales  adverses,  les « Assises nationales » ont été l’occasion  de les réunir sur la base du « Patriotisme économique ».

De même, les « Assises nationales »  ont été l’occasion,  pour la classe ouvrière,  de nouer une nouvelle alliance avec  les entrepreneurs autochtones, et le monde rural,  autour de  ces «  Conclusions » ;  ce qui met fin à son isolement  depuis qu’elle avait perdu son alliance avec les classes moyennes intellectuelles durant les luttes pour l’Indépendance nationale.

C’est ainsi, qu’ avec les « Conclusions des Assises nationales » ,  pour la première fois l’histoire de notre peuple, les classes fondamentales de notre société,  que sont  le monde rural, la classe ouvrière et  la «  classe des entrepreneurs autochtones », partagent un objectif économique et politique commun,  qui est la « souveraineté économique »  pour parachever notre Indépendance nationale.

Cette situation est le produit   historique de l’évolution du capitalisme dans notre pays, dominé par les grandes entreprises étrangères qui concentrent  en leur sein, l’essentiel des effectifs de la classe ouvrière.

Ce développement du Capitalisme, sans une classe d’entrepreneurs autochtones aux commandes de l’Economie nationale, qui était en gestation sous l’époque coloniale, a engendré, aujourd’hui, des contradictions sociales spécifiques qui  distinguent le parcours historique  de notre Bourgeoisie nationale,  du parcours classique  de formation de cette classe sociale, dans le  développement du capitalisme, notamment en Europe.  C’est  cela qui donne  au processus révolutionnaire dans notre pays, un caractère singulier, dont les différentes classes  fondamentales  de notre société  devraient prendre la pleine mesure, pour réaliser leur destin national.

Les obstacles à éviter, pour l’aboutissement de ce processus révolutionnaire, sont, les « réflexes de classe primaires »  qui pourraient porter la classe des entrepreneurs autochtones,  dans une alliance avec la Bourgeoisie étrangère,  pour imposer la flexibilité du marché du travail, avec son corollaire, la précarisation de l’emploi,  pour en faire une variable d’ajustement  pour tenir  dans la concurrence. Or, ce « reflexe » est, dans le contexte des APE, illusoire pour toute entreprise qui n’est pas une «  filiale » ou une « succursale » des entreprises Françaises et Européennes, donc pour les 36% des entreprises du secteur moderne qui sont nationales.

De même, ce « reflexe de classe primaire » pourrait les pousser à s’allier avec l’Agrobusiness pour l’accaparement  des terres, les mettant ainsi en contradiction irréductible avec les organisations représentatives du monde rural, qui militent pour la défense et la modernisation des petites et moyennes exploitations agricoles familiales qui sont confrontées à une « faim de terre » qui les bloque à un stade végétatif.  Ces exploitations agricoles familiales représentent, en 2004/5,  plus de 56% des exploitations agricoles sous pluie, disposant  de  moins de trois hectares,  qui sont le  seuil minimum pour s’équiper d’un semoir tracté par un âne (traction asine).

Ce même « réflexe de classe primaire » pourrait  aussi amener les organisations syndicales des travailleurs à ne pas faire, dans leurs luttes, la distinction entre «  entreprises autochtones » et « entreprises étrangères » qui pourtant ne boxent pas dans la même catégorie.

C’est donc,  autour de la défense du « Patriotisme économique »,  tel que défini de façon  consensuelle dans les  « Conclusions des Assises nationales », que toutes les classes fondamentales de notre société devraient se retrouver,  pour en faire « l’agenda central »  de  tous les patriotes de ce pays. C’est la seule manière de relever, avec un  succès certain, les défis de notre « souveraineté économique » pour parachever Indépendance nationale,  afin d’ouvrir la voie à l’intégration sous régionale,  en perspective de l’Unité Africaine.

Ibrahima SENE PIT/SENEGAL

Dakar le 3 Septembre  2014

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Cette petite historique nous montre à quel point la perception de l'économie a bien évolué au Sénégal, le contexte et les conditions de l'entrepreneuriat avec. A suivre.
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